
Yitskhok Leybush Peretz
Yitskhok Leybush Peretz (1852-1915) est une figure majeure des débuts de la littérature yiddish moderne. Avocat, adepte de Heine, auteur de renom dans les milieux intellectuels juifs de Varsovie, il a servi de référence et de modèle à une multitude d’écrivains yiddish du début du XXe siècle et de l’entre-deux-guerres. Outre sa prolifique activité d’écrivain, il est aussi célèbre comme initiateur d’une ethnographie et d’une historiographie juives encore balbutiantes à l’aube du XXe siècle. En 1915, alors qu’il sent certains pans de la vie juive d’Europe orientale sur le point de disparaître sous les efforts conjugués de la violence historique et de la sécularisation, il lance un appel aux lecteurs du journal yiddish Haynt à « écrire », « noter », « compiler » et devenir « historiens d’eux-mêmes », soulignant le danger de « laisser cette tâche à des mains étrangères ». Il participe en outre dès 1890 à une enquête statistique sur les Juifs polonais, financée par le philanthrope Jean de Bloch dans le but de prouver que ceux-ci n’étaient pas des parasites économiques. Les résultats de cette enquête sont aujourd’hui perdus et n’ont donné lieu à aucune publication strictement scientifique, mais il en reste un témoignage poétique, qui prend la forme d’une série de vignettes publiées par Peretz en 1891 sous le titre de Bilder fun a provints-rayze [Tableaux d’un voyage en province].
La nouvelle qui suit recoupe en partie une de ces vignettes, « Le plan d’eau », ajoutée par l’auteur à une nouvelle édition des Tableaux en 1904. Largement inspirées de l’expédition menée par Peretz dans la région de Tomaszow (par ailleurs sa région d’origine), ces deux narrations produisent de l’étrange et de l’inquiétant à partir d’un matériau ethnographique des plus factuels, suggérant le fantastique là où on ne l’attend pas et faisant surgir les spectres de la réalité historique. Cette veine étrange, qui réveille démons et fantômes sous la peinture de la réalité sociale de son temps, restera caractéristique de son écriture jusqu’à sa rencontre tardive avec le genre dramaturgique, manifeste dans une œuvre comme La Nuit sur le vieux marché.
La Ville morte
Traduction de Batia Baum


